Writing & editorial design                                                                                              2018
 
 
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Insomnies
 
Je ne parviens plus à dormir depuis trois jours. J’ai retrouvé une note d’un journal. Le texte a presque été effacé. Il y a inscrit 1993.
 
En 1993, aussi loin que je m’en souvienne, on pouvait disparaître sans raison. Je me rappelle vaguement du même trajet emprunté en voiture, où l’horizon semblait attaché à un point fixe, et le décor déjà détérioré par la faune. Je passais souvent devant la même résidence, en noir et blanc, elle me semble l’avoir toujours été, des palmiers devant le grillage et une voiture à la verticale, une Honda CRX.
C’est une de ces années vides, où l’on rentre épuisé, où l’on entend le bruit des couverts, l’agitation des draps, la voix du présentateur au JT, l’armoire se fermer sur les chemises de la veille, et les mégots de cigarette s’accumuler dans des verres attaqués par la moisissure.
 
Je vous retranscris ici un extrait de ce que je peux encore lire aujourd’hui :
 
« Un sourd bruit emplit la salle du restaurant depuis presque une heure. A peine ai-je pu reconnaître mes chaussures sous la nappe, que les invités ont fui. Les conversations ont cessé, les couverts ont disparu.
J’ai comme un nœud dans la gorge qui m’empêche de parler sans trembler. Pourtant je n’ai pas froid. Déjà plus personne et l’impression de vivre des jours d’errance. Le soleil est revenu mais j’ai l’amertume, l’amertume de ne plus accorder d’importance aux mots. Je l’aime en silence, en secret, et je me prête à penser que c’est une forme de romantisme.
Aucun éloge, aucun applaudissement. Les quinze minutes sont passées, fermeture des rideaux. Peut-on autant côtoyer le silence sans heurter le vide ?
Je deviens qui je suis. Je dois travailler et je dois mourir. Je passe mes journées à écrire, à essuyer des ratures, à les appuyer avec résignation. La vanité est une poussière dans l’œil.

 
Le ciel étoilé, noir, la lumière jaune filtrant les arbres de ma jeunesse, l’humidité de la terre mauve sur laquelle se déposent des couleurs pastels.
 
Dois-je apprendre à dire adieu ? En sortant du restaurant, je vois des bancs, des cafés bondés, des appartements encore illuminés, je me rappelle des plages calmes et des landes ventées ; parmi les visages, je ne reconnais plus personne.
J’ai encore rêvé que je nageais, quelle chance de pouvoir flotter, d’oublier son corps, sa forme, sans gravité. À l’heure de quitter ma chaise, je n’ai pourtant pas prêté attention aux détails, vague déjà-vu, déjà-ressenti. Je dois travailler et je dois mourir.
 
Un restaurant vide, un jour de février 1993. »
 
Text: Ismaël Jouhari
Design: Ismaël Jouhari
Photo: Timber Timbre, Hot Dreams (2014)
Typefaces: Aktiv Grotesk Bold, Futura
 
Insomnies
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Insomnies

When I cannot sleep at night

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